Vu sur un blog tenu par un prisonnier, Laurent Jacqua, écrit depuis sa cellule de la maison centrale de Poissy.
Lisez, écoutez et apprenez car, à par nous, habitants des centrales, nul ne sait !
En effet, à part nous, nul ne sait que si il y a bien une chose qu’il ne faut pas enlever à un condamné, c’est bien l’espoir. Or c’est la première chose qu’on lui arrache lorsqu’on le colle au fond d’une centrale tombeau avec une peine démesurée.
A part nous, nul ne sait qu’un homme digne de ce nom ne peut se résigner à l’inconcevable idée de vieillir ou de crever en cage. Même un animal est capable de se laisser mourir ou de se ronger une patte à vif pour se libérer d’un piège. Alors comment voulez-vous qu’un être doué de raison accepte un tel sort ?
A part nous, nul ne sait ce qui se passe dans la fange des centrales sauf ceux qui y ont passé des années, portant encore les stigmates des entraves du désespoir, celles que l’on vous attache au cou comme un carcan dés la cour d’assises, avant de vous jeter définitivement, ou pour longtemps, au plus profond d’un océan noir, celui des peines infinies et des saisons de pénitence.
A part nous, nul ne sait ce que représente la captivité pour un homme libre refusant l’arbitraire et ayant voulu s’affranchir de lois uniquement édictées par une société garante des privilèges des nantis.
A part nous, nul ne sait ce que sont ces lieux clos et immondes aux façades cruelles dont les fenêtres grillagées voient défiler lentement le temps comme passe un enterrement.
A part nous, nul ne sait ce que l’on ressent lorsque les verrous des portes claquent pour la nuit et que soudain l’angoisse et l’étouffement viennent vous saisir à la gorge. Quand des forces invisibles viennent peser de tous leurs poids sur votre poitrine à vous en couper le souffle ou quand de l’intérieur une oppression vient comprimer tous vos organes vitaux.
A part nous, nul ne sait combien ici la souffrance est mère de toutes les barbaries et que tout homme privé d’amour, de culture, d’humanité, de reconnaissance, de liberté, finit par perdre sa propre identité, comme s’il finissait par oublier les traits de son visage dans le regard des autres.
A part nous, nul ne sait que derrière les murs de pierres de ces centrales de fer les hommes deviennent encore plus durs, encore plus féroces, et que la pitié pour leurs semblables finit par s’effacer, conséquence du bannissement de leurs propres frères.
A part nous, nul ne sait que si le monde carcéral se fait si brutal c’est à cause de la brûlure que laisse dans l’âme l’oubli d’une quelconque appartenance à l’humanité. Une fois cette frontière franchit il n’existe plus que l’horreur…
A part nous, nul ne sait qu’au fil du temps certains prisonniers deviennent l’ombre d’eux-mêmes ne portant plus qu’un numéro d’écrou en guise d’injure signifiant leur damnation.
A part nous, nul ne sait que les murs suintant la douleur ne distillent toujours que des fruits amers. Sarcophages, suaires de pierre que sont toutes ces cellules où l’on enferme des vivants absents du monde et des morts hantant la vie.
A part nous, nul ne sait ce qui se passe lorsqu’ au fond de ces citadelles de béton l’horizon s’efface de la rétine comme un prisme de couleurs soudain privé de lumière, la raison des plus faible se brise alors sur les récifs acérés de ces îles d’exiles et le mal, tel des vagues géantes, empêche toute rédemption, toute expiation, toute remise en question. Voilà comment un beau jour on retrouve dame récidive échouée sur les voies fragiles de la réinsertion.
Oui vraiment, à part nous, nul ne sait que ces putains de centrales sont des tueuses d’avenir, des usines à crime, des hôtels d’agonie, des machines à suicides, des demeures perverses, des asiles aliénants, de véritables hachoirs à viandes où sont broyés les hommes !....
http://laurent-jacqua.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/03/09/a-part-nous-nul-ne-sait.html
Laurent JACQUA
Repris sur http://ledesordre.over-blog.com le 9 mars 2009
Lisez, écoutez et apprenez car, à par nous, habitants des centrales, nul ne sait !
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